Les gens racontent tous que le médecin du Cindrella, Elena,
est une personne frigide, qui parle peu et qui ne sourit presque jamais. Si ces
gens se rendaient au Wagon bar à cet instant précis, il y a fort à parier
qu’ils serraient plutôt étonnés parce qu’ils y trouveraient. Effectivement, la froide russe était assise
au fond de la salle, en face de l’extravagante Miss Fufil, que certains
connaissaient sous le nom de Lizzy, Mary ou dans le cas présent, Rika. Rika,
donc, et Elena semblaient être là depuis des heures à en juger par la pile de
tasses, de bouteilles ou de verres de toutes sorte, vides qui encombraient la
petite table. Pile que les deux jeunes femmes ne cessaient de faire en grandir
à interrompant leur conversation pour héler un serveur ou pour se ruer au bar
dévaliser le peu de réserve qu’il restait.
La conversation était plus que bruyante. En étant assise à
l’autre bout de la pièce, et si vous tendiez un peu l’oreille, vous n’auriez
pas eu beaucoup de mal à entendre les deux femmes débattre à on ne sait quel
sujet ; qui, soit dit en passant, devait être absolument passionnant pour
retenir ainsi deux personnes à une table minuscule dans un bar pendant
plusieurs heures.
Bien qu’elles soient assises, Rika et Elena ne cessaient de
bouger. L’une en écartant les bras pour montrer son désarroi, l’autre en se
levant pour prendre à parti un pauvre bougre qui n’avait rien demandé. Ainsi, elles étaient devenues en une grosse
demi-heure l’attraction principale du bar. Oh ! Seulement pour quelques
instants, le temps que chacun dévisagent une des deux d’un regard plus ou moins
effrayés. Avant de détourner ce regard le plus vite possible.
Mais de quoi parlaient-elles toutes les deux ? De
chimie moléculaire ? Du concours Miss Cindrella ? De la théorie de
Darwin ? Que nenni ! Les demoiselles, comme bien souvent,
discouraient du dernier livre que Miss Mihlecovitch avait prêtait à Miss Fufil.
Chacune s’employait à faire revivre à l’autre son passage préféré, à dissertait
sur le meilleur moment du livre, à élire le personnage le plus ci, le plus ça
de la saga. Rika, prenant sans doute la tache trop à cœur, se mit debout et le
pied sur une chaise, torse bombé et commença à mimait le passage si mémorable
auquel elle faisait référence, avant de choir bruyamment par terre, faisant une
nouvelle fois tournaient toute les têtes du bar. Elle se releva, reprit un
semblant de fausse assurance gênée avant se rasseoir et de continuer à l’exact
endroit où le flot de paroles continu qui s’échappait de sa bouche s’était
arrêté à cause de sa chute. Elena lui sourit avec indulgence avant d’attraper
au hasard un verre et de le vidait. Elle avait l’habitude du caractère…
expansif de Rika et ne s’en formalisait plus. Ou alors, c’était le fait
qu’elle buvait depuis deux heures qui la rendait plus indulgente qu’ordinaire.
C’est à peu près à ce moment qu’un des collègues de
l’expansive, un Waiter en d’autres termes,
vient s’interposer entre deux paroles pour déclarer d’un air un peu
embarrassé que c’était soirée karaoké et qu’il serait mieux pour discuter de
changer de bar. Loin de le freiner, le pauvre employé de bar raviva
l’enthousiasme de Rika qui s’exclama, les yeux brillants, qu’elles restaient.
Sans avoir consulté Elena, qui ne s’en formalisa pas une fois encore. La jeune Russe adressa un regard désolée au
triste sir qui s’écarta un peu gêné de leur table. Rien ni personne ne pouvait
stopper la jeune Waiter quand elle était dans ce genre d’était d’excitation.
Elena cessa donc de parler pendant un instant. Rika fixait
la petite scène où le personnel installait le matériel du karaoké avec les yeux
qui pétillait. L’instinct de la Russe ne la trompant que très rarement, elle comprit
bien vite que la soirée n’était pas, mais alors absolument pas, finie. Son
pressentiment se confirma quand son amie se tourna vers elle pour lui dire qu’elles
devaient ABSO-LU-MENT chantées toute les deux.
Chouette ! pensa
Elena, d’un ton qui même au creux de sa pensée était plus ironique que votre
oncle Charlie
( Nous avons tous un oncle Charlie !).
Oh ! Ce n’était pas parce qu’elle allait devoir chanter. Elle devait
avouer qu’elle chantait plutôt bien, même après voir bu sa 11
ème vodka.
Non ! Le fait qu’on lui rappellerait pendant des semaines cet événement
était bien plus ‘’douloureux’’ à ses yeux. Mais étant incapable de dire Non
dans l’état où elle se trouvait, elle acquiesça à la question de son
interlocutrice avant de commander sa 12
ème vodka et de la boire
sitôt sur sa table.
– Bon alors, on va le chanter ce
duo ?
C’est fou ce que quelqu’un peu faire quand il a un peu trop
picolé, pas vrai ?